Pierre-Auguste Renoir et Richard Guino. Grand Jugement de Pâris (détail)

GUINO-RENOIR

La sculpture à quatre mains...

 

« Pendant que lui faisait sa peinture, moi je faisais sa sculpture. »

Richard Guino, dans Les bonnes adresses du passé : Auguste Renoir, film documentaire de Roland Bernard, 1968 (60 min)

Guino travaillant au marbre Torse de femme

À tout juste 23 ans, Richard Guino, jeune prodige de la sculpture arrivé à Paris de sa Catalogne natale à peine deux années plus tôt, met ses mains au service d’un monument de l’art moderne : Pierre-Auguste Renoir !

L’accord parfait

 

Lorsqu’en 1913, Renoir se laisse convaincre par son ami et marchand d’art, Ambroise Vollard (1866-1939), de réaliser des sculptures pour diversifier sa production sur le marché, Aristide Maillol (1861-1944) soumet le nom de son meilleur assistant, le jeune Richard Guino… L’aventure durera quatre ans, orchestrée à distance par Vollard, tandis que Renoir et Guino travaillent en parallèle à la conception d’une vingtaine d’œuvres sculptées.

Ensemble, ils réfléchissent à l’interprétation en volume de compositions peintes ou dessinées par Renoir au cours de sa carrière, que Guino s’emploie à modeler dans l’atelier qu’il occupe chez les Renoir aux Collettes, ou chez lui à Paris.

 

« D’ailleurs je comprenais très bien ce qu’il désirait, vous savez l’accord était parfait. C’est même extraordinaire n’est-ce pas qu’on puisse réaliser une œuvre comme ça, une œuvre telle, n’est-ce pas […] Au moindre signe, je comprenais ce qu’il voulait. »

Richard Guino, dans Les bonnes adresses du passé : Auguste Renoir, film documentaire de Roland Bernard, 1968 (60 min)

 

Guino excelle à se fondre dans la manière de Renoir et bientôt leur collaboration évolue, les deux artistes s’accordant sur des thématiques inédites, auxquelles Guino donne ensuite corps. Pourtant, sentant son œuvre lui échapper alors qu’il a cédé leurs droits de vente et d’édition à Vollard, Renoir met fin à l’entreprise en janvier 1918, en recommandant cependant son collaborateur au marchand.

Pierre-Auguste Renoir, artiste-peintre

Archive rare, ce court film muet montre Renoir dans les dernières années de sa vie, lourdement handicapé mais l’œil toujours alerte. À vocation éducative et promotionnelle, le document n’en constitue pas moins un témoignage précieux donnant à voir le marchand Ambroise Vollard en pleine conversation avec le maître. La séquence, largement mise en scène, révèle aussi les astuces développées par Renoir pour tenir son pinceau et exercer son talent malgré la maladie qui paralyse ses mains.

En fin d’extrait, une servante apporte à l’artiste une petite sculpture que Renoir feint de retoucher : en réalité, il faut reconnaître un des bustes de Vénus que Guino façonne à cette période. Son nom et son implication restent pourtant délibérément dans l’ombre, selon la stratégie développée par Vollard pour vendre des sculptures « Renoir »…

Film Gaumont GP archives, référence 2000GE 02090

Vous avez dit bronze ?

S’il existe de très nombreuses techniques et matériaux appropriés à la sculpture, Renoir et Guino travaillent sur des œuvres destinées à être éditées en bronze. Matériau ancien, celui-ci permet de tirer, à partir d’un moule, une œuvre en plusieurs exemplaires qui seront considérés comme des originaux. Après avoir esquissé la composition sur papier, le sculpteur travaille ses modèles, généralement en modelant la terre (1) : l’artiste réalise généralement une armature en métal autour de laquelle il travaille la terre en utilisant ses mains mais également des outils pour une plus grande précision. Ce modèle en terre sert ensuite à réaliser un moule en plâtre (2). Cette étape intermédiaire est indispensable au processus complexe de la fonte du bronze (3). Alliage de cuivre et d’étain, le bronze peut être travaillé selon deux procédés : la fonte à la cire perdue et la fonte au sable. Les œuvres en bronze sont réalisées par des artisans d’art spécialisés (Godard, Hébrard, Susse) dont on retrouve généralement le cachet près de la signature de l’artiste et du numéro de série de l’œuvre.

 

Pierre Auguste Renoir (1841-1919) et Richard Guino (1890-1973), Jugement de Paris, Étude du Jugement de Pâris (détails), 1915, Perpignan, musée d’art Hyacinthe Rigaud.

L’original du multiple

Les enjeux du droit d’auteur dans la création d’œuvres à tirage multiple

 

Ce n’est que plus de 45 ans après la mort de Renoir que Guino cherche à faire valoir sa qualité d’auteur de leurs œuvres communes et à exercer les droits qui y sont juridiquement liés. Alors que le tirage de nouvelles éditions en bronze des œuvres qu’il a participé à créer lui est refusé, Guino, encouragé par son fils, entame une procédure judiciaire qui l’oppose aux héritiers de Renoir et n’aboutira qu’en 1973, quelques mois après son décès. Ce jugement, qui accorde le statut de coauteurs à Guino et Renoir sur leur production commune, a fait jurisprudence et soulève de nombreuses problématiques, au croisement entre art et droit.

Les techniques de moulage et de fonte incluent la possibilité d’exécuter une œuvre en plusieurs exemplaires, allant à l’encontre de l’idée qu’on se fait souvent de l’œuvre d’art comme un objet unique. Au XIXe siècle, les perfectionnements industriels ont un impact majeur sur l’artisanat d’art qui se trouve confrontée à ces problématiques inédites.

En France, depuis 1968, la loi encadre strictement l’édition d’œuvres originales en bronze. Si aujourd’hui, seules 12 épreuves numérotées peuvent être considérées comme des bronzes originaux, de tels cadres n’existent pas au temps de la collaboration entre Guino et Renoir, période à laquelle les mesures dépendent seulement du contrat établit par l’artiste ou par le détenteur des droits sur l’œuvre.